Comme une constellation qui s’éloigne dans le cercle des nuits stellaires, Rainer Maria Rilke a porté l’indicible « au rang de l’existence ». Solitaire au cœur de la solitude, il n’a cessé d’affirmer contre les écueils du temps, qu’il n’y avait d’autre retour à soi que dans ce dernier regard que jette le commun des mortels dans le miroir de l’être où passe, fugitive parmi « les choses périssables », la figure de l’ange.
La neuvième élégie
Pourquoi, s’il est loisible de mener ainsi jusqu’à terme notre bref
temps d’existence, laurier un peu plus vert que tout autre
sorte de verdure, avec de petites ondulations à chaque
bord de feuille (tel le sourire d’une brise) — : pourquoi, alors
devoir l’humain — et, évitant le destin,
se languir d’un destin ?…
Oh non parce qu’il y a du bonheur,
cet avantage prématuré d’une perte proche.
Non par curiosité, ou pour l’exercice du cœur
qui serait aussi dans le laurier…
Mais parce qu’être ici importe, et parce qu’apparemment
tout ce qui est d’ici nous réclame, tout ce périssable qui
étrangement nous concerne. Nous les plus périssables. Une fois
chaque chose, une fois seulement. Une fois et pas plus. Et nous aussi,
une fois. Jamais plus. Mais d'avoir été
une fois cela, même si ce ne fut qu'une fois :
avoir été de cette terre semble irrévocable.
© Pierre Bonnard