D’un dernier état des lieux, seule à seule contre tous, Marina Tsvétaïéva sut mesurer l’insomnie à la toise du poème devenu linceul du temps. Nourrie de telles cendres, offerte à tant de pertes, la voici qui conjugue dans la même saison de l’espoir, l’amour fou de la vie faisant de cet unique credo, contre vents et marées, l’emblème d’une existence vouée, dira-t-elle, à « la passion du travail, l’absence d’arrivisme, la simplicité et le renoncement ».
Qui dort chaque nuit ? Personne ne dort !
L’enfant crie dans son berceau,
le vieillard est face à sa mort,
le jeune homme parle avec son amie,
le souffle, à ses lèvres, les yeux dans ses yeux.
On s’endort – s’éveillera-t-on ici encore ?
On a le temps, le temps, on a le temps de dormir !
Un gardien vigilant, de maison en maison
passe, un fanal rose à la main,
et, grondements saccadés par-dessus l’oreiller,
sa crécelle violente va gronder :
– ne dors pas ! Résiste ! Je dis vrai !
sinon, c’est le sommeil éternel !
sinon, c’est la maison éternelle !
12 décembre 1916
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Il est temps
D'ôter l'ambre,
De changer les mots
Et d’éteindre la lampe,
Au-dessus de ma porte
Février 1941
© Kasimir Malévitch