Comme la marée qui déferle et chaque jour vient recouvrir le terrain perdu, Sylvia Plath n’a cessé de tisser sa toile autour de la disparition incessante du temps. Ses poèmes écrits avec l’obstination de la vague à l’assaut de l’écueil ont retenu les instants épars d’une vie jetée en autant de fragments d’écume dans la ronde aveugle des ombres. Entrée dans le cercle dont nul ne s’échappe, elle est cet être morcelé, « A fragmentary girl » qui finira par plonger hors de ce monde où rien n’est préservé.
Je suis verticale
Mais je voudrais être horizontale.
Je ne suis pas un arbre dont les racines en terre
Absorbent les minéraux et l’amour maternel
Afin qu’à chaque mois de mars je brille de toutes mes feuilles,
Je ne suis pas non plus la beauté d’un massif
Suscitant des Oh et des Ah et maquillée de couleurs vives,
Ignorant que bientôt je perdrai mes pétales.
Comparé à moi, un arbre est immortel
Et la corolle d’une fleur assez petite, mais plus saisissante,
Et il me manque la longévité de l’un, l’audace de l’autre.
Ce soir, dans la lumière infime des étoiles,
Les arbres et les fleurs ont répandu leur fraîche odeur.
Je marche au milieu d’eux, mais aucun n’y prête attention.
Il m’arrive parfois de penser que lorsque je suis endormie
Je dois leur ressembler à la perfection —
Autant de pensées devenues vagues.
Ce sera plus naturel pour moi, de reposer.
Alors le ciel et moi, nous converserons à cœur ouvert,
Et je serai utile quand je reposerai définitivement :
Alors peut-être les arbres pourront-ils me toucher,
et les fleurs m’accorder du temps.
ARBRES D’HIVER
Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.
Posé sur son buvard de brume
Chaque arbre est un dessin d’herbier —
Mémoire croissant, cercle après cercle,
En une succession d’alliances.
Ne connaissant ni les avortements ni le commérage,
Plus vrais que des femmes,
Ils sont de semaison si simple !
Frôlant les souffles, les voici déliés
Plongeant profond dans l’histoire —
Couverts d’ailes, tendus vers l’au-delà,
En cela, ils sont semblables à Léda.
Ô mère des feuillages, mère de la douceur
qui sont ces pieta, ces dames de pitié ?
Les ombres des ramiers usant leur berceuse inutile.
© Francis Bacon