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27 janvier 2011 4 27 /01 /janvier /2011 23:29

Aujourd’hui disparue, Martine Broda poursuit l'interminable mystère du « grand jour » qui tremble sous l'arche du poème, à l'envers du ciel avec lequel nous vivons et dont les innombrables étoiles sont tombées, abandonnant dans nos yeux des traces de lumière. Ainsi demeure ce qui fut saisi dans la fulguration de l’instant, pour ainsi dire sur le motif, dans le mouvement même de ce qui vient au jour avec l’urgence du « poème, le premier depuis longtemps, griffonné dans le train, à la hâte ». Ici et maintenant, « la poésie est épiphanie / je le dis comme Rilke et Juarroz l’ont dit ». Voici qu’elle ne cesse de nous rappeler que « l’illumination déchirante et brève est tout ce qui nous reste », tel un surcroît de lumière qui à la fois, nous éblouit et nous aveugle.

Melancholia---A.-Kiefer.jpg


Éblouissements

J’ai beau écrire mon nom il me fait toujours aussi mal

son chiffre est beau et douloureux il brûle mais ne m’éclaire pas

Faut-il trouver un autre nom dans la nuit ou dans la neige

Faut-il le rendre le plonger dans la mer

Mon nom volé je l’écris sur la vitre d’un doigt froid et humide

je l’écris noir sur noir

Il fond sur la vitre où j’écrasais mon nez d’enfant

cherchant à voir je ne sais quoi ce noir toujours derrière

le reflet la forme des corps

Écrire son nom c’est jouer à la nuit et à la neige

derrière la vitre qu’ils n’allumeront plus

pour qu’un nom jamais la forme de son corps



Grand jour


Cette femme ou rose efflanquée

habitait la rigueur

elle aiguisait sa jeunesse

une souffrance de cristal

rallumant sans faiblir

la bougie de faim plus claire

la parole gravée

par l’épine porte-rose dans son cœur

 

le cri diaphane

des poignets et des veines

mains sur le bord du ciel où se déchire l’eau

 

au fond du lac terrible

au bord du lac instant

je viens chercher mon amour

dans la bouche l’hirondelle de sa mort

immobile et ravie

 

suspends l’amour de ton amour

un seul cri de mon amour

brise le verre dans tous les yeux

est le seul coup d’archet

pour qui le monde eût mérité de vivre


Martine-Broda-2---Christoff-Debusschere.jpg


Lettres d'amour

élue par le haut amour

transportée dans la flamme

pieds meurtris sur la roue

marche aveugle au destin

cherchant la nuit où retentit
sur le gong du cœur

un visage d’outre-temps
clair comme une hantise

tu es beau comme le jour vain

tu éblouis comme la faim



ton visage est une blessure

en plein cœur

de tes doigts

jaillit la foudre



puisque tu étais mon destin

lorsque à l’aveugle je t’ai trouvé

tu m’as immédiatement
reconnue

quand l’amour répond à l’amour

la nuit recoud la nuit


© Anselm Kiefer, Christoff Debusschere

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Blog D'alain Fabre-Catalan

  • Blog d'Alain Fabre-Catalan
  • Alain Fabre-Catalan est poète, traducteur et membre du Comité de rédaction de la Revue Alsacienne de Littérature à Strasbourg et de la revue Les Carnets d'Eucharis. Il a publié en 2013 aux éditions Les Lieux-Dits un ensemble de proses, VERTIGES et en 2017 LE VOYAGE IMMOBILE aux éditions de Petit Véhicule à Nantes.
  • Alain Fabre-Catalan est poète, traducteur et membre du Comité de rédaction de la Revue Alsacienne de Littérature à Strasbourg et de la revue Les Carnets d'Eucharis. Il a publié en 2013 aux éditions Les Lieux-Dits un ensemble de proses, VERTIGES et en 2017 LE VOYAGE IMMOBILE aux éditions de Petit Véhicule à Nantes.

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L'Atelier du poème

◊ Ce qui témoigne que quelque chose s’est écrit, s’apparente ici à la figure irrégulière du poème se donnant à lire sur le glacis du papier ou bien l’écran en son rafraîchissement permanent.

 

◊ C’est la trace d’une présence dès lors évanouie, hormis les mots qui tentent d’en retenir l’empreinte. Son ultime destination n’a d’autre adresse que le saisissement d’un regard dans l’entrelacement des signes.

 

◊ Avec ce degré de considération accordé au grain d’une voix, vous êtes dans l’instant seul à en recueillir l’écho, cette résonnance qui parle à l’oreille du lecteur.

 

 Qui habite la voix patiente de la langue pour en faire son ultime demeure a le privilège de s’affranchir du temps. Telle une parole qui se découvre, jetée sur nos pas hésitants, la clarté seule devrait suffire.

 

◊ Avec ce peu de chose déployé dont le vol ressemble à un passage d’ombres insaisissables, « désaccordée, comme par la neige », résonne et nous atteint « la cloche dont on sonne pour le repas du soir ».

 

◊ La lumière ainsi retrouve son chemin et le simple bruit d’un ruisseau nous dévisage au détour d’un mot, d’une phrase posée là, en attente sur la page.

 

◊ Un instant sauvegardée, cette part du monde qui semblait perdue bruisse sur nos lèvres. Est-ce le fruit de l’air qui parle à notre oreille, ce dévoilement qui donne force vive en écho à des paroles que sépare le temps ?

Éclats De Voix