Aujourd’hui disparue, Martine Broda poursuit l'interminable mystère du « grand jour » qui tremble sous l'arche du poème, à l'envers du ciel avec lequel nous vivons et dont les innombrables étoiles sont tombées, abandonnant dans nos yeux des traces de lumière. Ainsi demeure ce qui fut saisi dans la fulguration de l’instant, pour ainsi dire sur le motif, dans le mouvement même de ce qui vient au jour avec l’urgence du « poème, le premier depuis longtemps, griffonné dans le train, à la hâte ». Ici et maintenant, « la poésie est épiphanie / je le dis comme Rilke et Juarroz l’ont dit ». Voici qu’elle ne cesse de nous rappeler que « l’illumination déchirante et brève est tout ce qui nous reste », tel un surcroît de lumière qui à la fois, nous éblouit et nous aveugle.
Éblouissements
J’ai beau écrire mon nom il me fait toujours aussi mal
son chiffre est beau et douloureux il brûle mais ne m’éclaire pas
Faut-il trouver un autre nom dans la nuit ou dans la neige
Faut-il le rendre le plonger dans la mer
Mon nom volé je l’écris sur la vitre d’un doigt froid et humide
je l’écris noir sur noir
Il fond sur la vitre où j’écrasais mon nez d’enfant
cherchant à voir je ne sais quoi ce noir toujours derrière
le reflet la forme des corps
Écrire son nom c’est jouer à la nuit et à la neige
derrière la vitre qu’ils n’allumeront plus
pour qu’un nom jamais la forme de son corps
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Grand jour
Cette femme ou rose efflanquée
habitait la rigueur
elle aiguisait sa jeunesse
une souffrance de cristal
rallumant sans faiblir
la bougie de faim plus claire
la parole gravée
par l’épine porte-rose dans son cœur
le cri diaphane
des poignets et des veines
mains sur le bord du ciel où se déchire l’eau
au fond du lac terrible
au bord du lac instant
je viens chercher mon amour
dans la bouche l’hirondelle de sa mort
immobile et ravie
suspends l’amour de ton amour
un seul cri de mon amour
brise le verre dans tous les yeux
est le seul coup d’archet
pour qui le monde eût mérité de vivre
Lettres d'amour
élue par le haut amour
transportée dans la flamme
pieds meurtris sur la roue
marche aveugle au destin
cherchant la nuit où retentit
sur le gong du cœur
un visage d’outre-temps
clair comme une hantise
tu es beau comme le jour vain
tu éblouis comme la faim
•
ton visage est une blessure
en plein cœur
de tes doigts
jaillit la foudre
•
puisque tu étais mon destin
lorsque à l’aveugle je t’ai trouvé
tu m’as immédiatement
reconnue
quand l’amour répond à l’amour
la nuit recoud la nuit
© Anselm Kiefer, Christoff Debusschere